Dans La Tribune, Marc Martinez, consultant Indépendant spécialiste de l’Iran, basé a Dubai (Emirats Arabes Unis), explique, “Plus fondamentalement, l’attentisme européen pourrait accélérer le basculement iranien vers sa frontière orientale. Depuis le renforcement des sanctions internationales en 2010-2011, l’Iran a, en effet, tissé des relations fortes avec l’Orient notamment l’Inde et la Chine”.
La fin de l’Eldorado iranien
Par Marc Martinez | 13/03/2018, 17:08 (La Trbune)
Depuis la levée des sanctions, nombre de pays ont voulu investir dans le très prometteur marché iranien. Si l’élection de Donald Trump a brisé cette dynamique, prôner une attitude attentiste pour les entreprises occidentales, notamment françaises, reviendrait à tirer un trait sur le pays pour l’avenir. Par Marc Martinez, consultant Indépendant spécialiste de l’Iran, basé a Dubai (Emirats arabes unis).
La signature de l’accord sur le nucléaire iranien a suscité de très grands espoirs au sein d’une population qui espérait oublier les années noires de la présidence Ahmadinejad, les sanctions, l’inflation, le chômage. Le pays se préparait à un tsunami d’investisseurs européens qui allaitent faire redémarrer l’économie iranienne.
Cet espoir porté par le modéré Hassan Rouhani lui a permis de remporter l’élection présidentielle de 2013 et de se maintenir au pouvoir en 2017. Cet espoir a aussi été partagé par de nombreux acteurs économiques – nationaux et étrangers – qui ont cru à un Eldorado Iranien. Un marché de 80 millions d’individus désireux d’acheter, de voyager, de consommer. Un marché quasi vierge comme cela ne s’était plus produit depuis la chute du mur de Berlin.
Un mirage qui s’est évanoui
Un mirage surtout qui s’est évanoui dès l’élection de Donald Trump à la présidence américaine. Dans son ambition de détricoter l’héritage de son prédécesseur, le nouveau président s’est attaqué au plan d’action global commun qu’avait signé Obama aux termes d’années de négociation avec l’Iran, le Conseil de sécurité des Nations unies et l’Allemagne.
Pour certains, il est donc urgent d’attendre : attendre que le président américain décide du sort de l’accord nucléaire, attendre que l’Iran lance de tant attendues réformes économiques, attendre que les gardiens de la révolution lâchent leur emprise sur l’économie, attendre que l’Iran devienne une démocratie respectable et abandonne son programme de missile balistique.
Les conséquences de l’attentisme pourraient être désastreuses
Cet attentisme est une autre forme de mirage. A l’heure où les positions diplomatiques des partenaires occidentaux se raidissent, ses conséquences pourraient être désastreuses pour l’Iran bien sûr mais aussi pour les relations économiques entre la France – et l’Iran.
Hassan Rouhani et le camp modéré pourraient être les premières victimes de cette politique attentiste. Le président, tiraillé entre une population pro-réforme et une élite conservatrice, voit la pression monter de toutes parts. A la hauteur des espoirs suscités par la signature de l’accord sur le nucléaire, l’absence de mise en œuvre concrète a entraîné une très grande déception et les récentes manifestations anti-régime qui ont secoué le pays en sont une une illustration.
Cet attentisme entame aussi la confiance des Iraniens dans la capacité européenne à mener une politique indépendante des Etats-Unis. La récente visite du ministre français des Affaires étrangères a été sur ce point instructive. Venu chercher des concessions iraniennes pour rassurer le président Trump et maintenir en vie l’accord nucléaire, Jean Yves Le Drian a été chahuté par la presse conservatrice et présenté en une du quotidien Javan comme “le Laquais parisien de Trump”.
Le risque d’un basculement iranien vers sa frontière orientale
Plus fondamentalement, l’attentisme européen pourrait accélérer le basculement iranien vers sa frontière orientale. Depuis le renforcement des sanctions internationales en 2010-2011, l’Iran a, en effet, tissé des relations fortes avec l’Orient notamment l’Inde et la Chine.
L’Inde vient, par exemple, d ‘accroître sa participation dans le projet du port iranien de Chabahar dont elle en a obtenu le contrôle pour une durée de 18 mois lors de la visite du président iranien en février. Le port sera le premier port iranien en haut profonde : il permettra à Téhéran d’acquérir plus d’indépendance face au port Émirien de Jebel Ali par lequel transite une part considérable des marchandises à destination de l’Iran et qui permettra à l’Inde de contourner l’ennemi pakistanais pour accéder à l’Afghanistan et aux pays d’Asie centrale.
La collaboration avec la Chine est quant à elle relativement plus ancienne. Déjà en 1995, les Chinois étaient à pied d’œuvre pour construire les lignes 1 et 2 du métro de Téhéran. Les relations commerciales se sont nettement étoffées par la suite : face aux sanctions internationales et à une inflation croissante, l’Iran importa des produits chinois qui, moins chers, envahirent les marchés locaux. Depuis 2010, le commerce avec la Chine dépasse même les imports-exports européens.