Le Louvre-Lens rallume les derniers feux des Qajars, cette dynastie iranienne qui a fini par s’endormir sur ses somptueux lauriers. Un voyage entre splendeur et décadence.
Louvre-Lens : l’art d’être perse
Paris Match| Publié le 16/04/2018 à 03h33
Gilles Martin-Chauffier
L’Iran attache un prix énorme à son passé. Avec la Chine, c’est la nation la plus ancienne du monde. Des Achéménides de Darius aux Pahlavi en passant par Abbas le Grand, les dynasties successives ont écrit une éblouissante saga. Deux mille cinq cents ans de fastes entre Suse, Persépolis, Ctésiphon, Tabriz, Chiraz, Ispahan… De ce pays compliqué comme ses tapis, des familles perses, parthes, sassanides, safavides et autres sont parties conquérir Babylone, tuer des empereurs romains, disputer Bagdad aux Ottomans, voler aux Grands Moghols le trône du Paon et le Koh i-Noor. Pourtant, dans cet interminable livre d’or, certaines pages sont rarement feuilletées.
Parmi elles, l’histoire des Qajars. Au pouvoir de 1796 à 1925, ils ont fait de Téhéran la capitale mais sont restés bras ballants face au recul inexorable de leur empire. Au nord, ils cèdent aux Russes la Géorgie et le Daghestan, puis tout le Caucase ; à l’est, ils laissent les Anglais leur tailler des croupières à la frontière indienne et sur les contreforts de l’Afghanistan. Partout, ils reculent. La misère s’étend. Les remparts montagneux des frontières bordent des déserts de pierres. Dans les villes poussiéreuses en briques de paille et d’argile, manteaux, plumes, burnous et cafetans se mêlent aux haillons. Les bazars sont envahis de mules, de chameaux, de musiciens, de vauriens, de derviches, mais l’économie somnole. L’heure de la Perse est passée. Les routes, les ponts, les caravansérails, tout tombe en ruine. Il n’y a même pas de chemin pavé pour gagner le palais d’été de Téhéran sur les pentes de l’Elbourz. Malgré ce profond sommeil, une lueur scintille.
Promenade à travers les salons d’un palais qajar
Dans les palais de la dynastie, une forme d’art de cour éblouissante incendie les pupilles des diplomates et des sujets du chah. Au Golestan, l’immense jardin baigné de fontaines et bordé de palais où règnent Fath Ali (1797-1834) puis Nasir al-Din (1848-1896), les deux plus grands souverains qajars, une succession de halls, de pavillons, de salles et de galeries transportent au paradis. Les murs intérieurs tapissés de miroirs, d’éclats de verre, de vitraux, de cristaux à facettes, de glaces en lentilles ou en prismes étincellent. Constellé de pierreries et de brillants, le chah sur son trône semble refléter deux mille cinq cents ans de grandeur. Les halls aux miroirs, aux diamants, à l’ivoire, aux éclats, au cristal se succèdent sur une mer de marbre et de mosaïque blanche. Les chandeliers et les lustres resplendissent. L’art qajar flamboie. Mais il sait aussi être discret, doux et tendre quand ses peintres s’attaquent aux portraits. Si Fath Ali, si fier de ses yeux de biche et de sa barbe à la Nabuchodonosor, s’est fait peindre aussi souvent qu’il eut d’enfants (159), dans son sillage, toute la cour s’est offerte aux pinceaux des artistes de Téhéran. Le résultat est plein de charme, à mi-chemin entre les miniatures des ères précédentes et l’art occidental qui imprègne déjà le Proche-Orient. Tout comme la photographie qui emballe Nasir al-Din et se répand très vite en Iran.
« L’empire des roses. Chefs-d’œuvre de l’art persan du XIXe siècle », Louvre-Lens, jusqu’au 23 juillet.