Jean-Yves Le Drian, “l’Iran est un grand pays et un acteur clé dans la région”
Le Journal du Dimanche revient sur la visite du chef de la diplomatie française en Iran, ces 4 et mars. L’hebdomadaire rappelle que ce déplacement du ministre des Affaires étrangères prépare surtout celui du président français, Emmanuel Macron, dans le courant de l’année 2018
Le Drian, mission déminage en Iran
François Clémenceau 04/03/2018 – 16h52
Le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian tente dimanche et lundi à Téhéran d’obtenir des garanties pour permettre la visite en 2018 d’Emmanuel Macron, la première d’un chef d’État occidental depuis 1979.
C’est une mission risquée. Prévu en janvier, le déplacement de Jean-Yves Le Drian avait dû être reporté pour cause de “troubles” en Iran. Ce dimanche donc, finalement, le patron du Quai d’Orsay, à la tête d’une importante délégation, voit les plus hauts responsables de la République islamique. “L’Iran est un grand pays et un acteur clé dans la région, nous devons nous parler et nous parler clairement. C’est mon intention”, confiait le ministre au JDD à la veille de son départ. Selon le programme initial, il doit rencontrer le contre-amiral Ali Shamkhani, secrétaire général du Conseil suprême de sécurité nationale, le conseiller stratégique du chef de l’État, l’ayatollah Khamenei. “Shamkani est la porte d’entrée de l’État profond iranien”, décrypte un connaisseur. Jean-Yves Le Drian ne veut rien mettre sous le tapis, notamment le dossier balistique iranien : “il y a les programmes balistiques de plusieurs milliers de kilomètres de portée qui ne sont pas conformes aux résolutions du Conseil de sécurité et dépassent les seuls besoins de sécurité des frontières de l’Iran”, ajoute le ministre. Raison pour laquelle il invitera la République islamique à prendre ce sujet “à bras le corps, faute de quoi ce pays s’exposera à de nouvelles sanctions”.
Soutien de la France à l’accord sur le nucléaire
Avec le président du Parlement iranien, Ali Larijani, un ancien négociateur du programme nucléaire iranien, Jean-Yves Le Drian réaffirmera l’engagement de la France et des Européens à respecter l’accord de Vienne de juillet 2015, qui prévoit un abandon des activités nucléaires suspectes en échange d’une levée des sanctions internationales. Sauf que les États-Unis de Donald Trump veulent obtenir d’ici au 12 mai, date butoir américaine pour reconduire l’acceptation de l’accord, bien davantage. Non seulement, ils exigent des garanties sur ce qu’on appelle les “sunset clauses”, c’est-à-dire des perspectives claires à l’expiration du texte de Vienne en 2025, mais ils menacent de s’en retirer si l’Iran maintient ses activités balistiques, sa politique de déstabilisation régionale et son soutien au terrorisme.
Des réunions sur ce sujet se sont déjà tenues trois fois entre Américains et Européens mais lors de la dernière séance, à Paris le 20 février, peu de progrès ont été enregistrés. Pas question de renégocier le traité et pas question non plus d’en élaborer un autre qui réduirait la portée du premier. “On est sur l’arête”, confirme un participant aux tractations. “Si Donald Trump veut faire de la com’ sur le dos de l’Iran à ce sujet, son narratif risque de finir dans le mur”, confie un diplomate impliqué qui évoque plutôt la possibilité d’un “arrangement politique non contraignant”. Ce qui pourrait accomoder les Iraniens. Car “plus on les presse, plus ils se ferment comme des huîtres”, confirme l’ancien ambassadeur de France en Iran, François Nicoullaud, pour qui “rien n’interdit de réfléchir à des gestes d’apaisement”. L’Iran pourrait ainsi s’engager dans le Code de bonne conduite de La Haye qui prévoit davantage de transparence sur le terrain balistique en informant ses pairs des essais et en acceptant d’être contrôlé.
Avec le président réformateur Rohani, Jean-Yves Le Drian plaidera pour faire en sorte que la République islamique fasse appliquer en Syrie le cessez-le-feu exigé par les Nations unies la semaine dernière avec la résolution 2401. “Ce qui se passe dans la Ghouta orientale est un sujet majeur et les Iraniens le savent puisqu’ils ont des troupes terrestres engagées dans ce siège” de la banlieue de Damas, signale un officiel français informé de la présence d’au moins 10.000 combattants pro-Iran en Syrie. Et puis, “il y a la tolérance dont semble faire preuve Téhéran devant l’usage par Bachar de l’arme chimique”, ajoute Jean Yves Le Drian. À charge ensuite pour Emmanuel Macron de prouver à Donald Trump que des progrès sont possibles avec l’Iran lorsqu’il se rendra lui-même à Washington le 25 avril. Nous serons alors à une dizaine de jours des élections parlementaires libanaises, les premières depuis neuf ans. “Exiger de l’Iran que cette campagne soit propre est l’un des enjeux à venir, notamment pour que le Hezbollah, sur la scène politique et non plus militaire, devienne un acteur crédible”, explique un diplomate.
Autrement dit, le chef de l’État n’ira sur place en 2018, comme il l’a souhaité, que si “les conditions sont réunies”. Rien ne serait plus terrible pour la première visite en Iran d’un chef d’État occidental depuis la Révolution islamique de 1979 que d’en revenir les mains vides ou défait.